Vraiment de drôles de gens ces Anglais ! Non seulement, ils ne font rien comme tout le monde – et à commencer comme les Français – mais de surcroît ils eurent la mauvaise idée de guerroyer contre nous pendant sept longs siècles ! Un laps de temps confortable pour se mitonner, vous en conviendrez, l’une de ces bonnes vieilles inimitiés, célébrées même en chanson : « Buvons un coup, buvons en deux/À la santé des amoureux/À la santé du Roi de France/Et merde pour le Roi d’Angleterre,/Qui nous déclaré la guerre » (Le Trente-et-un du mois d’août ).
Bon, revenons à nos Anglais. Et ce n’est pas parce qu’ils sont réputés flegmatiques et dépositaires d’un soi-disant fair-play (bien commode lorsqu’ils l’exigent des perdants au rugby) qu’il faut fermer les yeux sur leur manière de « partir sans prendre congé ». Que nous ne pouvions traduire que par une expression édifiante : « filer à l’anglaise ». Précisons tout de même que jusqu’à la fin du XVIIe siècle, interrompre « une réunion pour se dire au revoir était un signe de mauvaise éducation, d’où la mode à la cour française d’abandonner la réunion sans le faire (...). Cette habitude s’étendit au reste de l’Europe ; mais quand cette mode changea et que l’on considéra que quitter une réunion à la française n’était plus courtois, les Français refusèrent d’accepter la paternité de cette habitude et adoptèrent l’expression filer à l’anglaise ». La mauvaise foi étant la chose la mieux partagée du monde, dont acte…
Alors vraiment fair-play les Anglais ? Les Tommies ne cédèrent pas de terrain langagier aux Froggies. Et l’équivalent de notre « filer à l’anglaise » - que le linguiste Alain Rey date de 1890 - pris racine outre-Manche dans l’expression « to take a French leave », dont le très sérieux « Oxford English Dictionary » revendique l’antériorité en 1771 .
Un point partout, la balle au centre entre deux nations qui entretiennent jalousement une tradition qui leur est chère.
Texte de Dominique Roger de la revue Détours en Histoire
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Illustration réalisée grâce au talentueux Dominique Roger pour la revue Détours en Histoire N°6 |